Rappel : le principe des textes classés dans la catégorie Garbage collector veut que chaque texte soit inspiré par une chanson, l’ensemble des textes devant former un tout cohérent. Dans ma mesure du possible, la chanson est incluse en fin de texte.
Il ne t’a fallu que le temps d’un café.
Les grains de poussière dansent dans le rayon de soleil de ce premier jour de vacances qui filtre à travers les persiennes. Fitz, le chat, ton chat, joue avec le bouchon du champagne. Dehors le monde, inutile, semble hésiter à s’éveiller, déjà assommé par la chaleur à venir.
Je regarde tomber les dernières gouttes de la cafetière. Elles sont claires, presque transparentes, comme si elles refusaient de laisser le café les colorer à son idée. Je les rêve rétives, froides, intransigeantes.
Les dernières volutes de ta cigarette à demi cassée dans un mouvement nerveux, colérique, tout à l’heure, en te levant. Depuis combien de temps as-tu recommencé à fumer. Ou n’était-ce que pour me faire un peu plus mal ?
Ta tasse est restée là, sur la table du petit déjeuner. Café sans sucre, toujours, et la marque du rouge à lèvres sur le bord. Je résiste à la tentation de poser les miennes par dessus.
Un sursaut me prend à l’estomac comme une houle. J’ai à peine le temps de courir aux toilettes et m’affaler à genoux la tête dans la cuvette. Fitz en profite pour entamer l’ascension de mon jean par l’arrière. Je sens à peine ses griffes traverser le tissu.
D’un coup je me mets à sangloter. Tu as vu comme j’ai bien tenu le coup ? Non, bien sûr, tu étais partie avant. J’ai entendu ton pas dehors, puis la portière d’une voiture qui claquait. Je n’ai pas même eu le courage de regarder pour voir avec qui. Cela a-t-il de l’importance ? Peut-être.
Il ne t’a fallu que le temps d’un café pour me prouver que tu ne m’aimais plus.
Froidement tu as posé tes conditions, sachant d’avance que je ne lutterai pas. Assommé je t’ai entendu dire que tu partais, sans moi, que tu serais de retour dans 3 semaines et que tu ne voulais pas me retrouver à la maison. Jamais tu ne m’avais parue aussi belle qu’à ce moment-là.
Je regarde sans les voir les deux billets d’avion que j’avais posés hier soir sur la table du petit déjeuner pour te faire la surprise. J’ai à peine touché à mon café. Il me semble que tu es partie depuis deux heures déjà. Troll pose le bout de son museau sur ma cuisse. Il lève ses grands yeux éternellement tristes dans la direction des tartines. Je lui en beurre une qu’il s’empresse d’emporter sur son tapis. Tu n’avais jamais oublié encore de lui donner sa tartine. À chaque fois je pestais te faisant remarquer qu’il mettait des miettes partout, et tu disais que c’était ton chien. Et aujourd’hui tu pars sans même lui faire une caresse.
Il ne t’a pas même fallu le temps d’une tasse de café pour me déchirer notre couple à coups de phrases tranchantes comme des lanières, précises, chirurgicales. Mes mains tremblent, je n’ose me resservir. Troll pousse un soupir et abandonne le tapis pour chercher la fraîcheur du carrelage. Je ferme les yeux. J’essaye de me persuader que tu vas bientôt te lever, sortir souriante de la chambre en déshabillé, toujours trop habillée à mon goût ; que tu vas approcher pour un baiser, que je vais vouloir te retenir plus près et que tu vas t’enfuir en riant pour te laisser rattraper sur le lit. Je ferme les yeux plus fort, encore. Comme si je ne t’avais pas trouvée ce matin déjà tirée à quatre épingles, ta valise devant la porte. Je garde les yeux fermés, encore, toujours. Bientôt tu vas arriver en silence et m’entourer de tes bras. Bientôt. Peut-être. Plus jamais.
Un mouvement, un frôlement, une respiration. Troll me donne de petits coups de truffe pour demander comment il se fait que personne ne l’ait encore fait descendre. Je pleure en lui caressant la tête. Doucement il me pousse encore du museau. « Donne-moi cinq minutes s’il te plaît ». Il me fixe, ne se donnant même pas la peine de faire semblant d’avoir compris. Au fond, c’est ce qui est reposant avec les chiens. Alors que les femmes, elles, sont persuadées de vous avoir compris, le chien, lui ne fait pas semblant. Il s’en tape et il assume.
Je m’essuie les yeux, génocide quelques mouchoirs à grands coups de morve, et décoche la laisse. Troll danse, s’il pouvait il chanterait.