juillet 24th, 2012

Après La Fontaine et Gérard de Nerval, il n’y avait pas de raison pour que Victor Hugo n’y passe pas à son tour.

Voici donc une version réactualisée d' »Après la bataille ». Pour mémoire, la version originale est à la fin.

Après la castagne.

Mon daron, un vrai mâle, qu’avait du poil aux pattes
Avec l’ami biffin, un aminche, une bonne pâte
Un qu’avait des roustons, et pas feignant du mètre
Se cavalait à bidet, après qu’on vienne de s’y mettre
Une peignée vespérale, su’le plancher des cadav’.
Il esgourdit un brâme, un cui-cui dans la cave
C’était un espinguoin d’chez les crétins d’en face
Pissant du raisiné et bavant d’la morvasse
Piaillant, moulu, séca, et presque de cujus(*).
« d’la flotte, du jaja, le coup d’l’étrier »
Le pater, une vraie quille, fila au galoné
Sa nourice d’Adam(**), du cent pour cent pur jus
« Ziwa, file-z-y un coup à la demi charogne »
Subito, comm’ l’biffin lui tendait le nectar
L’autre cave, un rebeu des faubourgs d’zanzibar
Défouraille son tu-tues qu’il avait dans la pogne
Et pointe le daron en braillant « Mort aux vaches »
Le kébour fit un tour et finit dans la mâche
Le bidet eut les foies et dansa la polka
File-z-y q’même son gorgeon, qu’y-z-y dit mon papa
(*) De cujus : pudeur de notaire, qui, en droit
des successions ne parle jamais du mort, mais du de cujus,
littéralement « celui dont il est question ».

(**) Adam : jeu de mot traditionnel avant l’invasion du
ouisqui qui donnait au premier verre de rhum de la
journée le nom d’Adam, qui lui aussi était le premier homme.

Version originale :

Après la bataille


Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.
C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
Et qui disait:  » A boire! à boire par pitié !  »
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé.  »
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: « Caramba!  »
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
 » Donne-lui tout de même à boire « , dit mon père.

Victor Hugo, 18 juin 1850, La légende des siècles, Le temps présent.