Je n’aime pas ranger.
J’ai besoin de mon bordel autour de moi.
De toute façon, j’ai beau faire, il revient toujours.
Toujours le même. Et je ne sais pas comment il fait pour revenir à l’identique.
Pourquoi ai-je toujours des piles-bouton sur mon bureau ? Je n’en ai nul usage, pourtant, il y en a toujours au moins une paire qui traîne. Et ces clefs ? Je n’ai nul idée de la porte u’elles peuvent ouvrir. Pourtant elles sont là. Les cordons informatiques, une pince à linge, le laser à chat, tout ça a une raison pour être là. Mais le reste ?
J’ai besoin de mon bordel pour me sentir bien. Les trombones, les stylos, les cartouches pour un stylo que j n’utilise pas, tout ça marque ma place.
Je déteste ranger.
Des fois, je ne peux pas faire autrement, alors je met les piles boutons dans une petite boîte, avec d’autres dont je n’ai pas l’usage, les trombones dans une autre, les stylos dans leur pot à crayons. Je jette, je dégage, au bout du compte, c’est net, propre, impersonnel. Chiant, quoi.
Je déteste ranger.
Le reste de mon bureau est une longue accumulation. De livres, de revues, de journaux, d’ordinateurs périmés en attente de trouver une destination. On dirait pas, mais ça prend de la place. Deux iMac G3 hors d’usage, un bondi blue et un sauge, un performa 5400 noir, un imac G5 20 pouces sans alimentation, un G3 beige, un G4 format oreiller, une carcasse de PC 68000 AT de marque indéfinie qui me servait de rack pour périphériques scsi, deux moniteurs Apple, un 12 pouces et un 13 pouces, Une unité centrale P4 entièrement assemblée de mes blanches main, une autre unité centrale Acer, deux ensembles caisson de basses-enceintes. Et ça ne compte pas les quelques machines effectivement en service. Le vieux portable 17 pouces qui sert de télé, le fixe pour travailler, avec ses deux écrans et le netbook 12 pouces pour les déplacements. Et le mac mini qui fait serveur.
Je déteste ranger.
J’ai des tiroirs pleins de cartes mères, de cartes réseau, de cartes graphiques, de nappes, de disques durs, d’alimentations. Mais aussi de dossiers traités, de fascicules de stages de quand je faisais des formations, de listes de stagiaires, échangées en fin de séminaire, avec leur mail et leur téléphone.
Je déteste ranger.
L’autre jour j’ai reçu un coup de fil d’une amie.
On parle de choses et d’autres, des problèmes dans son boulot, du chat, des mérites comparés du pal et de la guillotine pour éradiquer les cons.
Et puis je lui demande si elle a des nouvelles de la biopsie dont elle attendait les résultats.
C’est un cancer du sein. Stade 2. Donc normalement, opérable sans souci.
Je peste contre cette saloperie de crabe.
Et là, elle me dit tout doucement.
Mais je ne veux dire à personne que j’ai le cancer. Je suis désolée d’ailleurs que tu le saches, je ne veux pas embarrasser mes amis. D’ailleurs, je suis beaucoup moins angoissée depuis que je le sais. J’ai toujours eu du mal avec la vie. Cela m’arrange. Sérieux. J’ai pris ma décision il y a longtemps déjà, au moment d’une présomption (non fondée) de cancer des os, je refuse tout soin sauf le moment venu contre la douleur.
Et là je reste assommé.
Alors depuis, je range.
J’ai sorti une cinquantaine de kilos de papier, autant de matériel informatique divers; des sacs de câbles et cordons, une vieille imprimante A3. Mais pas le performa 5400 avec le bout de scotch sur le récepteur infrarouge pour qu’il ne réagisse pas à chaque fois qu’une télécommande Sony était utilisée à côté de lui.
Je range.
J’ai mis deux imprimantes, les imacs G3 et G4, et quelques kilos de disquettes à la cave.
Je range.
J’ai retrouvé mon vieux QuickTake 100, et la carte mémoire de 4 Mégas qui allait sur un portable Tosiba a écran monochrome.
Je range.
Je mets les piles boutons dans une boîte, les trombones dans une autre, les stylos dans les pots à crayons.
Je range.
Et quand il n’y aura plus rien à ranger, je pleurerai.